Béatrice Lapérou-Scheneider, « La protection de la santé des salariés dans le contexte de la Covid-19 : Questions pénales »

Face au risque d’infection résultant de l’apparition du coronavirus, les employeurs, tenus d’assurer la sécurité et de protéger la santé de leurs salariés, ont dû adapter les conditions de travail. Malgré la difficulté de la tâche, la question du possible engagement de leur responsabilité pénale se pose. Cette étude envisage les principales infractions susceptibles de leur être reprochées au regard des circonstances particulières de la crise sanitaire.


La pandémie que nous traversons a eu des répercussions importantes pour les employeurs qui ont été amenés, entre autres, à adopter dans la précipitation des mesures spécifiques dans l’organisation du travail afin de limiter les risques de contamination de leurs salariés par le coronavirus. Sous cet angle, plusieurs sources de responsabilité existent. La question du possible engagement de la responsabilité pénale pour risque ou atteinte involontaire à l’intégrité voire à la vie des salariés a rapidement été soulevée, plusieurs plaintes ayant déjà été déposées en ce sens. Cette situation, inédite à raison de son ampleur et de sa rapide évolution, explique certainement la volonté manifestée par le législateur au début de cette crise de limiter les risques de poursuites, notamment pénales, contre les décideurs publics et privés dont les employeurs.

Alors que les risques de contamination et les précautions à adopter afin d’endiguer la pandémie faisaient encore l’objet de nombreux débats, certains ont en effet demandé que ces acteurs de la société bénéficient d’un allégement de leur responsabilité pénale. C’est ainsi que le sénateur Maurey a déposé une proposition de loi le 24 avril 2020 contenant un unique article qui disposait : « Les décisions prises au cours de l’état d’urgence sanitaire et en lien avec lui ne sauraient être constitutives d’une faute caractérisée au sens de l’avant-dernier alinéa de l’article 121-3 du code pénal ». Dans le même sens, un amendement au projet de loi prorogeant l’état d’urgence a été proposé par le Sénat qui prévoyait que : « Nul ne peut voir sa responsabilité engagée du fait d’avoir, pendant l’état d’urgence sanitaire (…), soit exposé autrui à un risque de contamination par le coronavirus SARS-COV-2, soit causé ou contribué à causer une telle contamination à moins que les faits n’aient été commis : 1° intentionnellement (…) ; 3° ou en violation manifestement délibérée (…) d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ». Ces tentatives s’entendaient dans la mesure où nul n’est, plus que l’État, en mesure d’endiguer la pandémie. C’est en ce sens que le ministère du Travail a précisé qu’« il n’incombe pas à l’employeur de garantir l’absence de toute exposition des salariés à des risques mais de les éviter le plus possible et s’ils ne peuvent être évités, de les évaluer régulièrement en fonction notamment des recommandations du gouvernement, afin de prendre ensuite toutes les mesures utiles pour protéger les travailleurs exposés ». Ces amendements et propositions ont cependant été rejetés par l’Assemblée nationale en ce qu’ils pouvaient être perçus comme introduisant une sorte d’amnistieNote 6 et risquaient de déboucher sur un certain désengagement des décideurs. Il convient en effet à ce stade de rappeler l’importante fonction préventive jouée par le droit pénal.

Quoi qu’il en soit, les débats ont été nourris et finalement la loi du 11 mai 2020 a créé un nouvel article L. 3136-2 du Code de la santé publique aux termes duquel :« L’article 121-3 du code pénal est applicable en tenant compte des compétences, du pouvoir et des moyens dont disposait l’auteur des faits dans la situation de crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire, ainsi que de la nature de ses missions ou de ses fonctions, notamment en tant qu'[autorité locale ou] employeur ». Cet article, jugé conforme à la ConstitutionNote 8 et qui n’a vocation à s’appliquer que dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, n’a à la vérité pas révolutionné le droit positif des délits non intentionnels. Le Conseil constitutionnel a lui-même précisé que ces dispositions « ne diffèrent pas de celles de droit commun », raison pour laquelle ce texte a pu être qualifié de redondante contente en effet de rappeler l’obligation pour le juge répressif de comportement reproché à l’employeur au regard du standard – ainsi que des circonstances entourant le moment supposé de la contamination. Pour ce faire, il doit se placer au jour supposé de la contamination et rechercher quelles étaient à ce préventives alors publiées par le gouvernement. Comme il a été instrument à double tranchant en ce qu’elle incite le juge du fond à la Cour de cassation de casser des décisions de relaxe au motif qu’elles seraient insuffisamment motivées. Rien de réellement nouveau au regard des exigences traditionnellement posées en la matière par la jurisprudence.

Au regard de la situation exceptionnelle créée par la pandémie et des spécificités des risques en découlant le juge pénal sera amené à s’interroger sur la portée et le non-respect des obligations pesant sur l’employeur d’assurer la sécurité et de protéger la santé de ses salariés. L’éventail des incriminations susceptibles d’être caractérisées étant relativement étendu, il conviendra de distinguer selon que la méconnaissance d’une telle obligation a eu ou non pour effet de porter atteinte à l’intégrité physique ou à la vie d’un salarié. […]


Semaine Juridique. Social, n° 8 : « Droit pénal du travail et de la sécurité sociale », étude n°1049